François Lenglet prédit une longue période de croissance…

Événement organisé par le Medef Sarthe au Welcome, la salle située au cœur du circuit Bugatti, la Soirée des entrepreneurs de la Sarthe a réuni le 19 novembre dernier près de 300 personnes, essentiellement chefs d’entreprise, pour écouter François Lenglet, journaliste économique intervenant sur RTL dans Lenglet-co tous les matins et sur TF1-LCI. À cette soirée, François Lenglet qui ne fait pas mystère d’une vision libérale de l’économie, n’intervenait pas en terrain hostile. Pourtant, l’angle sous lequel il a abordé la situation économique et géopolitique en France et dans le monde, a pu en surprendre plus d’un.
Faisant allusion à l’introduction de Karel Henry, présidente du Medef Sarthe, qui présentait une situation très difficile pour les entreprises sarthoises et des perspectives plutôt inquiétantes, François Lenglet a débuté son intervention avec pessimisme : "Je vais partir exactement du même point de départ, c'est-à-dire cette incroyable conjonction de crises. Une crise électorale, une crise sociale (les gilets jaunes), une crise sanitaire (le covid), une crise politique, géopolitique. Je ne nommerai pas la crise climatique qui est d'une autre nature, mais elle est là quand même. On a le sentiment que toutes ces crises sont comme des météorites qui tombent dans notre jardin et qu'il y en a une nouvelle tous les matins. Et on se dit, pour les gens qui ont mon âge - il précisera être né en 1961 - qu'on n'a pas connu dans notre vie d'adulte une période aussi chahutée."
"Dans ce qui ne change pas, on voit des choses de notre avenir"
Pour autant, sans prédire des lendemains qui chantent, le journaliste de RTL et TF1, voit les choses à moyen terme s’arranger. Sa démonstration s’appuie sur le constat que ces crises se déroulent dans une période de transition entre deux mondes, que ces périodes interviennent à intervalles réguliers et qu’elles sont souvent douloureuses. Il décrit clairement sa grille d’analyse : "quand on regarde les observateurs de la chose humaine, ils se partagent en deux camps. Ceux qui pensent que c'est le nouveau qui est le plus important : ce sont les ruptures qui expliquent l'actualité par le caractère schumpétérien de leur survenue, c'est-à-dire que ça bouleverse tout (une innovation, une guerre…). Je fais partie de ceux qui pensent qu’au contraire, ce sont les invariants, ce qui ne change pas dans l'histoire des communautés humaines, qui est plus important que ce qui change. Si l’on s’intéresse à ce qui ne change pas, on voit des choses de notre avenir. En analysant les précédentes transitions, et la façon dont elles se sont produites et résolues, on s’aperçoit qu’elles sont suivies par une longue période de croissance." Nous voilà rassurés. Enfin, pas tout de suite !
De la domination de l'Occident à celle du Sud global
D’après François Lenglet, la transition serait entre un monde dominé par les États-Unis et leurs alliés, le monde occidental, vers un monde dominé par le Sud Global avec un axe Pékin, Moscou, Téhéran. "La toile de fond, c'est cette confrontation entre les États-Unis, le chef de file de l'Occident, et la Chine, le chef de file de l'autre camp. Le phénomène central, c'est que des doutes se sont accumulés sur la puissance américaine. Le maître du monde pendant plusieurs décennies, a donné le sentiment qu'il n'était plus prêt à défendre, justement, son statut de maître du monde." Il y voit la conséquence d’un phénomène classique, la surexposition impériale : au terme d'une longue période de domination mondiale, les empires, après avoir conduit d'innombrables guerres aux quatre coins de la planète, ne veulent plus mourir pour cette prérogative. C'est la phase descendante de la domination. Pour les États-Unis, c'est fini. Et ce d'autant plus que dans le même temps, un maître du monde alternatif possible se profilerait : la Chine.
La Chine sera-t-elle le nouveau maître du monde ?
Donc, nous serions au moment de ce passage de témoin, vivant les convulsions de l'ancien monde, certains profitant de la période de transition pour essayer de récupérer l'Ukraine, l'Arménie… Ce serait évidemment la fin d'un long cycle de domination occidentale.
"Je pense qu'on a tous conscience de ça, précise François Lenglet. Finalement, l'Occident n'a plus le poids qu'il avait quand nous étions jeunes. Et d'ailleurs, je lis le besoin de souveraineté. Il n'y a pas de politique qui ne parle pas de souveraineté en matière alimentaire, militaire, technologique, de communication. Ceux qui veulent être souverains, ce sont ceux qui ne le sont pas. Ceux qui sont souverains n'ont pas besoin de le dire, n'ont pas besoin de le demander. Et je pense que c'est la trace, justement, de cette inversion."
Là où le journaliste va un peu dérouter l’auditoire, c’est qu’en fait, il n’est pas certain que la Chine devienne le nouveau maître du monde. Pointant le vieillissement important de la population chinoise, ainsi que la culture chinoise qui n’est pas orientée vers la domination extérieure et enfin le manque de soft power de la Chine - "Le maître du monde doit faire rêver" -, l’avènement de la Chine ne lui paraît pas certain.
Alors qui ? François Lenglet n’avance rien : "il est tout à fait possible que nous assistions à une confrontation entre ces deux blocs et que finalement ce ne soit ni la paix ni la guerre, mais un état d'antagonisme entre les puissances. La conséquence sur le plan économique, c’est que nous entrons dans un monde inflationniste. On se recloisonne." Le risque géopolitique étant le risque ultime. On ne prendra plus le risque de délocaliser pour ne pas, comme ce fut le cas en 2022 en Russie, "devoir partir en pyjama" en laissant tout derrière soi.
Ce n’est pas la fin du monde, mais la fin d’un monde
Il voit dans ce que l’on vit actuellement, la fin d'une longue période où s'entremêlait un ordre géopolitique assez stable et un corpus de valeurs libérales assez stable également. Tout cela volant en éclats. "Ce qui n'est pas rassurant, c’est qu’une transition dure en général une quinzaine ou une vingtaine d'années, on peut penser qu'on en a fait l'essentiel, précise-t-il. Mais en général, c’est la fin qui est la plus désagréable. On est dans la fin et c’est à ce moment-là que s’exprime les conflits, les guerres…"
En conclusion, François Lenglet se veut rassurant rappelant que ce que nous vivons est déjà arrivé dans des formes assez similaires. Qu’il ne s’agit pas de la fin du monde, mais de la fin d’un monde. Autre point rassurant d’après le journaliste, une fois acté le changement de valeurs et un changement d’organisation, les futures élites s’épanouiront. "Il est probable que l’impression de vide que nous avons quand nous regardons la scène politique soit assez trompeuse et que des gens se préparent déjà, ou qui eux-mêmes ne le savent pas, mais qui pourront conduire nos pays vers une autre étape, a-t-il conclu. Et celle-ci sera une longue période de croissance car c’est toujours ce qui se produit au terme de ces transitions."
Pierre-Jacques Provost